De Christian W. Troll
Permettez-moi d'abord de rendre grâces à Dieu qui a inspiré à un petit groupe de croyants musulmans la lettre ouverte "A Common Word" (ACW) du 13 octobre 2007 et à beaucoup d’autres éminents dirigeants et chercheurs musulmans celle de la signer.
Laissez-moi le remercier aussi parce qu’il a inspiré à l'archevêque de Canterbury de rédiger sa réponse: "A Common Word for the Common Good" (ACWCG) (...).
Je suis en plein accord, je le dis ici, avec ce qu’a écrit l'archevêque au début de sa réponse profonde et inspirée à ACW: "Ce n’est qu’en nous ouvrant à la perspective transcendante vers laquelle votre lettre est orientée et que nous regardons nous aussi, que nous trouverons les ressources qui nous permettront un dévouement radical, transformateur, non-violent, aux besoins les plus profonds de notre monde et de notre commune humanité.
Cette contribution naît d’une affirmation commune de la place absolument centrale, dans les deux croyances, de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain, c’est-à-dire du double commandement d'amour.
Sans entrer dans les graves questions théologiques soulevées par ACW et ACWCG, je traiterai rapidement cinq questions précises qui semblent appeler la réflexion et l’action des chrétiens et des musulmans.
1. Le double commandement d'amour et le constant égocentrisme de l’homme.
Cette conscience suscitera en nous un effort résolu pour arriver à une autocritique honnête, ainsi qu’un vif désir d’apprendre et d’être purifiés et transformés par l’écoute de ce que Dieu veut nous dire à travers nos partenaires de dialogue, qu’ils adhèrent ou non à une foi religieuse. Pensons-nous que notre dialogue est suffisamment soutenu par ces convictions et par les attitudes que celles-ci nous ont dictées?
2. Le double commandement d'amour comme clé d’interprétation des Ecritures Sacrées
L'archevêque de Canterbury a souligné que chrétiens et musulmans diffèrent substantiellement par la perception de ce que sont les Ecritures Sacrées et par la place de chacune de ces Ecritures dans la théologie correspondante. Je partage tout à fait son avis quand il dit que, malgré ces différences, "l’étude en commun de nos Ecritures respectives peut continuer à offrir des éléments fructueux à notre engagement mutuel dans le processus de construction d’une maison ensemble".
3. Le double commandement d'amour et les droits de l’homme
Ce n’est qu’assez récemment que les Eglises chrétiennes et quelques individus et groupes (au moins d’une certaine taille) musulmans ont modifié leur enseignement sur les droits de l’homme, en principe. Ils ont changé et sont devenus des partisans et des défenseurs des droits de l’homme. C’est Dieu lui-même, argumentent-ils, qui a pour ainsi dire inscrit ces droits dans la nature de l'homme.
4. Le double commandement d'amour et l'organisation de l’Etat dans une société multiethnique et multireligieuse
La question d’une relation correcte entre la religion et l’Etat joue un rôle important dans le dialogue christiano-musulman. Le vif intérêt de la plupart des chrétiens et de nombreux musulmans pour la séparation de la religion et de l’Etat ne paraît pas dû avant tout à des raisons philosophiques ou idéologiques. Les faits historiques qui y ont abouti sont beaucoup plus importants et absolument nécessaires pour la comprendre: en Occident ce sont surtout les guerres de religion après la Réforme protestante et, plus tard, les dictatures fascistes et communistes du XXe siècle. Des limites sont ainsi imposées à la fois à la religion et à l’Etat, qui les acceptent à leur tour.
Les tentatives de créer des Etats chrétiens ont échoué et ont coûté très cher à toutes les parties en présence. Rien n’autorise à penser que des états musulmans vont et pourront faire mieux. Ici la question cruciale est de nouveau la perception des droits de l’homme. Je crois que nous devrions intensifier le dialogue sur ce point.
5. Le double commandement d'amour et la violence au nom de la religion
Aucune religion ne peut dire que la violence n’a pas été ou n’est pas utilisée actuellement en son nom. Le fardeau dont elles ont ainsi hérité ne peut pas disparaître spontanément. Pour remédier au passé et à son souvenir, il faut plus qu’un accord sur les faits, même si cela seul peut être très difficile. Toutes les religions doivent accepter de faire la lumière sur leur relation passée et actuelle avec la violence, pour le bien de l’avenir. Cela va bien au delà du problème de la Guerre Sainte.
Le dialogue entre chrétiens et musulmans n’en est probablement qu’à ses débuts. Il demande de la patience, de la confiance, de l’endurance et des cœurs ouverts. C’est avant tout notre foi qui nous oblige à nous parler malgré toutes les expériences décevantes de nos relations passées et présentes. Autrement dit, c’est le dialogue que Dieu attend de nous, ce Dieu que tous, chrétiens et musulmans, nous invoquons comme le miséricordieux, le juste, l'aimant et le patient.